Le patrimoine naturel de la réserve de Sigean

La Réserve s’est installée dans les années 1970 dans un paysage rare et précieux, celui des étangs littoraux du Narbonnais. Ce paysage est le résultat d’un savant mélange entre les massifs boisés des Corbières et les marais saumâtres du littoral. La rencontre entre ces deux biotopes très différents est à l’origine d’une belle diversité d’habitats : pelouses, garrigues et pinèdes pour les parties hautes ; prairies humides, sansouires, lagunes et ripisylves pour les parties basses. Cet ensemble varié se traduit naturellement par une grande diversité de faune et de flore. Ajoutez à cela la tranquillité du lieu, l’absence totale de chasse et de traitements phytosanitaires et la présence de grands troupeaux d’herbivores synonymes de nourriture abondante, et vous comprendrez aisément pourquoi les 350 hectares de la Réserve Africaine de Sigean sont devenus au fil des années un véritable refuge pour la faune et la flore méditerranéennes.

Cette richesse se traduit réglementairement par un zonage multicouche auquel sont soumis la Réserve Africaine de Sigean et ses abords immédiats :

  • ZPS (Zone de Protection Spéciale) et ZSC (Zone Spéciale de Conservation) du réseau Natura 2000,
  • ENS (Espace Naturel Sensible),
  • ZNIEFF types I & II (Zone Naturelle d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique)

La Réserve Africaine de Sigean se situe également au centre du Parc Naturel Régional de la Narbonnaise en Méditerranée.

En 2018, pour objectiver plus précisément la richesse de ce patrimoine naturel et nous aider à tout mettre en œuvre pour le préserver, nous avons demandé à deux associations locales de protection de la nature de réaliser des inventaires faunistiques et floristiques sur nos terrains. Cette démarche a permis de mettre en évidence la grande importance de notre foncier pour la faune et la flore locales et d’identifier les actions prioritaires à mener pour la protéger ou la diversifier encore un peu plus.

La flore et les habitats :

La mosaïque d’habitats de la Réserve héberge plus de 300 espèces de plantes. La nature des sols (très calcaires et/ou très salés) de la Réserve et les longues sécheresses estivales expliquent la nature du cortège végétal typiquement méditerranéen décrit dans les lignes qui suivent.

Sur les parties basses généralement humides et salées, seules quelques grandes espèces ligneuses arrivent à s’implanter. Deux d’entre elles dominent le paysage, il s’agit du Tamaris commun (Tamarix gallica) et du Frêne à feuilles étroites (Fraxinus angustifolia). A elles deux, ces espèces composent l’immense majorité des arbres spontanés dans les zones basses.

D’autres essences plus petites prospèrent sur les zones les plus salées : la Salicorne vivace (Arthrocnemum fruticosum) et l’Obione faux-pourpier (Halimione portulacoides), qui forment de grandes prairies en bordure des plans d’eau salée. Enfin en de nombreux endroits c’est la très vigoureuse Canne de Provence (Arundo donax) qui s’est installée. Cette graminée géante et envahissante qui se plaît sur les talus mesure généralement 4 ou 5 mètres de hauteur et forme des haies très denses que nous utilisons comme coupe-vent pour nos animaux.

Les parties hautes du paysage sont plus diversifiées et plus fleuries. Ce sont des collines calcaires soumises à de fortes restrictions hydriques estivales.

La garrigue y domine et les essences sont donc typiques de ce milieu : Oléastre (Olea europaea sylvestris), Romarin (Rosmarinus officinalis), Ajonc de Provence (Ulex parviflorus), Pistachier lentisque (Pistacia lentiscus), Genévrier cade (Juniperus oxycerdus), Filaire à feuilles étroites (Phillyrea angustifolia), Nerprun alaterne (Rhamnus alaternus) …

Au bout de quelques décennies cet habitat a tendance à se faire envahir par le Pin d’Alep (Pinus halepensis), grand conifère tortueux qui forme des boisements denses et pauvres en biodiversité. Sa dominance fait généralement disparaître le cortège des végétaux précités et seule la Camélée (Cneorum tricoccum), arbrisseau buissonnant à petites fleurs jaunes, semble se plaire sous les branches du conifère. A cause de la forte vulnérabilité aux incendies du Pin d’Alep et de son caractère envahissant, nous procédons régulièrement à des coupes d’éclaircissement de certaines pinèdes trop densément peuplées pour favoriser le retour de la garrigue basse, plus diversifiée et moins inflammable.

A côté de ces essences dominantes, une dizaine d’espèces patrimoniales plus rares ont été identifiées à la Réserve comme l’Orobranche penchée (Orobranche cernua), l’Hédysarum épineux (Hedysarum spinosissimum), le Scolyme tacheté (Scolymus maculatus) ou le Petit Alpiste (Phalaris minor), graminée à enjeux qui profite de nos pratiques culturales douces, sans intrants et sans labours intensifs.

Les oiseaux

C’est la classe animale la plus visible et la plus diverse, près de 230 espèces en ont été observées à la Réserve Africaine de Sigean !


Beaucoup appartiennent à l’innombrable cortège des oiseaux migrateurs en route pour le Nord de l’Europe (au printemps) ou pour l’Afrique (à l’automne) car la commune de Sigean se trouve sur l’un des 2 axes migratoires principaux d’Europe de l’Ouest, l’autre se situant sur la façade atlantique. Plusieurs milliers de cigognes, grues, rapaces, guêpiers, hirondelles et autres passereaux défilent ainsi deux fois par an au-dessus de nos têtes.

Certains s’arrêtent et y font une halte brève, d’autres choisissent carrément d’y passer toute la mauvaise saison. Le baguage des oiseaux pratiqué dans tous les pays d’Europe nous permet d’ailleurs de connaître leur provenance. Par exemple le grand groupe d’environ 250 Cigognes blanches (Ciconia ciconia) qui passe l’hiver à Sigean est composé essentiellement d’oiseaux allemands et constitue le plus gros groupe de cigognes hivernant en France.

Et ces 1500 à 2000 Mouettes rieuses (Chroicephalus ridibundus) qui passent la mauvaise saison sur l’œil de Ca nous arrivent quant à elles du Bénélux dès le mois de septembre. Le Flamant rose (Phoenicopterus roseus) est un cas particulier : pas vraiment migrateur, ses populations sont plutôt erratiques. Il est présent toute l’année en nombre fluctuant (de 50 à plus de 1000) sur l’œil de Ca mais ne s’y reproduit pas. Les Flamants roses de la Réserve sont en fait originaires de la colonie camarguaise et de tous les pays du bassin méditerranéen occidental.

Parfois, une espèce plus rare ou égarée se glisse dans le défilé des oiseaux migrateurs, comme la Cigogne noire (Ciconia nigra), l’Aigle botté (Aquila pennata), le Balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus), l’énigmatique Bécassine double (Gallinago media) ou cette Mouette de Franklin (Leucophaeus pipixcan), exceptionnelle visiteuse originaire du Canada et présente quelques semaines sur l’œil de Ca pendant l’hiver 2014-2015.

La Réserve accueille également une vaste communauté d’oiseaux qui y trouvent les bonnes conditions pour s’y reproduire. Les plus visibles sont les Cigognes blanches (de 25 à 30 couples), les hérons (environ 130 couples de 4 espèces différentes, soit la plus grosse héronnière de l’Aude) ou les superbes Guêpiers d’Europe (Merops apiaster) dont environ 60 couples creusent leur terrier dans nos talus.

Nous essayons de favoriser l’installation de certaines espèces en leur procurant des sites de nidification comme des plateformes (pour les cigognes) ou des nichoirs pour les oiseaux cavernicoles.

Ainsi au fil des années nous avons ainsi équipé les façades de nos bâtiments de plus de 250 nichoirs à Moineaux domestiques (Passer domesticus), directement encastrés dans les murs et dont le taux d’occupation est supérieur à 60%. En additionnant ces couples à ceux qui se reproduisent dans d’autres cavités et bâtiments de la Réserve on arrive à une population totale de plusieurs centaines de couples de cet oiseau autrefois banal qui disparaît pourtant rapidement de la plupart de nos villes.

Enfin les observateurs attentifs sauront repérer nos nicheurs plus discrets comme le Cochevis huppé (Galerida cristata), la Fauvette orphée (Sylvia hortensis), le Petit Gravelot (Charadrius dubius), le Milan noir (Milvus migrans), le Rossignol philomèle (Luscinia megarhynchos) ou encore la très rare Hirondelle rousseline (Cecropis daurica) ! Et les plus chanceux découvriront peut-être le seigneur de la nuit, le très aristocratique Grand-duc (Bubo bubo). C’est le plus gros rapace nocturne du monde, redouté par tous les oiseaux et mammifères plus petits que lui. Il se reproduit à la Réserve et l’analyse de plus de 800 restes de proies découvertes dans ses pelotes de réjection a démontré que ce sont surtout les lapins et les rats qui ont intérêt à bien se tenir : ils représentent en effet près de la moitié des proies identifiées ! Le Grand-duc passe généralement ses journées perché tranquillement dans un pin, à observer le défilé des visiteurs et à attendre que le soir tombe pour se mettre en chasse.

Les mammifères

S’il est difficile de passer à côté des oiseaux de la Réserve, les mammifères quant à eux cultivent une discrétion extrême et la plupart des 40 espèces inventoriées sont nocturnes et invisibles. L’exception qui confirme la règle est l’Écureuil roux (Sciurus vulgaris), sympathique rongeur arboricole dont nos pinèdes hébergent une belle population, friande des cônes de Cyprès (Cupressus sempervirens) ou de Pin d’Alep (Pinus halepensis). Vous le rencontrerez certainement sur le parcours pédestre. La nuit venue, c’est une faune variée de petits carnivores comme la Genette (Genetta genetta), le Blaireau (Meles meles), le Renard roux (Vulpes vulpes) ou la Fouine (Martes foina) qui s’active, à la recherche de reliefs de nourriture humaine ou en quête d’un Lapin de garenne (Orictolagus cuniculus), d’un Mulot sylvestre (Apodemus sylvaticus) ou d’un Rat noir (Rattus rattus) imprudent. Même la très discrète Loutre d’Europe (Lutra lutra) fréquente occasionnellement les rives de la Berre, ce petit cours d’eau dont l’embouchure se situe derrière le parc de la Plaine.

Enfin les insectivores ne sont pas en reste puisque la Réserve est un terrain de chasse idéal pour les chauves-souris, dont le rare Minioptère de Schreibers (Miniopterus schreibersii) ou le Grand Rhinolophe (Rhinolophus ferrumequinum). Nos bâtiments hébergent des grosses colonies de Pipistrelles soprane (Pipistrellus pygmaeus) et il n’est pas rare de tomber sur le plus petit mammifère du monde, la Pachyure étrusque (Suncus etruscus), quand on soulève les plaques ou les planches oubliées quelques jours à même le sol. Cette musaraigne pèse moins de deux grammes à l’âge adulte !

Les reptiles

Les amphibiens les plus visibles sont les Rainettes méridionales (Hyla meridionalis) et les Grenouilles rieuses et vertes (Hylax spp.). D’autres comme le Discoglosse peint (Discoglossus pictus) et le Crapaud calamite (Epidalea calamita) sont bien présents également mais beaucoup plus discrets et difficiles à détecter.

Le cortège de reptiles est très diversifié, puisque 7 espèces de lézards et 4 espèces de serpents vivent à la Réserve.

Le reptile le plus visible et pourtant le plus menacé est probablement l’imposant Lézard ocellé (Timon lepidus), qui avec ses 60 à 80 centimètres est le plus gros lézard européen. Sa présence va souvent de pair avec celle du Lapin de garenne dont il utilise les terriers en guise de gîte. Il est en très forte régression en France mais à la Réserve on le croise encore souvent sur les chemins du parcours pédestre, entre avril et septembre.

Son principal prédateur à Sigean est la Couleuvre de Montpellier (Malpolon monspessulanus) qui est elle aussi une géante : les vieux mâles sont les plus gros serpents d’Europe et peuvent mesurer jusqu’à 2 mètres. Elle est très farouche et vous aurez peu de chances de l’apercevoir. Sa cousine la Couleuvre à échelons (Zamenis scalaris) est beaucoup plus visible et il n’est pas rare d’en voir de beaux spécimens semer la panique auprès de nos visiteurs à la belle saison. Mais c’est une couleuvre, elle est donc totalement inoffensive ! Comme sur l’ensemble du littoral méditerranéen français, il n’y a pas de vipères à la Réserve Africaine de Sigean.

Les insectes

Avec une classe aussi diversifiée que celle des insectes, il est difficile de connaître le statut précis de chaque ordre représenté sur un espace naturel. C’est pourquoi seuls les plus visibles sont généralement recensés, à savoir celui des papillons de jour (ordre des lépidoptères, superfamille des papilionoidés), celui des libellules (ordre des odonates) et celui des sauterelles, criquets et grillons (ordre des orthoptères). Ils sont généralement de bons indicateurs du statut du reste de l’entomofaune.

Les papillons de jour sont représentés à la Réserve par une quarantaine d’espèces dont de nombreuses espèces typiques des garrigues : Amaryllis de Vallantin (Pyronia cecilia), Echiquiers d’Occitanie (Melanargia occitanicaet ibérique (Melanargia lachesis), Fadet des garrigues (Coenonympha dorus), Marbré de Cramer (Euchloe crameri), Marbré de vert (Pontia daplidice) et Voilier blanc (Iphiclides feisthamelii). Une petite population d’un papillon protégé au niveau national fréquente les prairies humides qui se trouvent à l’entrée de la Réserve : il s’agit de la superbe Diane (Zerynthia polyxena), visible brièvement au printemps et dont les chenilles se nourrissent exclusivement de l’Aristoloche à feuilles rondes (Aristolochia rotunda).

Diane (Zerynthia Polyxena)

L’étude du peuplement de libellules de la Réserve met en évidence la présence d’un cortège riche et varié. S’y côtoient en effet à la fois des espèces pionnières comme le Sympétrum strié (Sympetrum striolatum), des espèces typiques des eaux saumâtres comme le Sympétrum de Fonscolombe (Sympetrum fonscolombii) et l’Anax napolitain (Anax parthenope), des espèces du cortège des ruisseaux et petites rivières comme le Caloptéryx vierge (Calopteryx virgo) et l’Orthétrum bleuissant (Orthetrum coerulescens) ou des grands cours d’eau comme le Pennipatte bleuâtre (Platycnemis pennipes) ainsi que des espèces des mares comme la Nymphe au corps de feu (Pyrrhosoma nymphula) et l’Ischnure élégante (Ischnura elegans) ou encore des étangs comme la Brunette hivernale (Sympecma fusca) et l’Anax empereur (Anax imperator). En tout plus de trente espèces y sont recensées dont le rare Agrion bleuissant (Coenagrion caerulescens), petite libellule endémique du bassin méditerranéen occidental. C’est l’une des 18 espèces à bénéficier d’un Plan National d’Action et il est considéré comme « En Danger » en France.

Enfin l’étude des sauterelles, criquets et grillons de la Réserve n’a permis de mettre en évidence qu’une seule espèce à enjeux, la remarquable Magicienne dentelée (Saga pedo). Avec ses 17 centimètres cette « sauterelle » géante est le plus gros orthoptère d’Europe et a pour particularité d’être aptère, carnivore et parthénogénétique, alors que les autres orthoptères sont généralement volants, végétariens et sexués. Malgré sa taille elle est extrêmement discrète car contrairement aux autres sauterelles, elle est bien incapable de décoller quand on l’approche et compte donc sur son immobilité et son mimétisme pour se protéger de la prédation.

Magicienne Dentelée (Saga Pedo)

Une étude quantitative des densités d’orthoptères mériterait d’être menée à la Réserve car ces insectes représentent une biomasse importante et bien répartie, utilisée par de nombreux prédateurs secondaires pour leur alimentation (oiseaux, chauve-souris, reptiles …). Ces caractéristiques et leur positionnement dans la chaîne trophique les désignent donc tout naturellement comme un maillon essentiel au bon état de fonctionnement global de très nombreux écosystèmes. Ils sont donc de bons modèles pour mesurer l’état de conservation des habitats et pour évaluer la gestion mise en œuvre.

Source : LPO Aude & Fédération Aude Claire (décembre 2018), Inventaires des propriétés de la Réserve Africaine de Sigean sur le secteur dit « Deume », « Les Courbes », « Œil de Chat », « Embouchure de la Berre » (communes de Sigean et Peyriac de Mer).

Les résultats complets de ces inventaires peuvent être consultés ICI et le plan de gestion ICI.